Nat Renard, hop, une petite interview (janvier 2014)
D’où
viens-tu ?
Je suis née à Grenoble, de parents
exilés parisiens, avec des racines béarnaises, flamandes, suisses…
J’ai vécu la majeure partie de ma vie du côté de la Chartreuse
jusqu’à ce qu’en 2010, par décision familiale unanime, mon
mari, nos deux enfants et moi décidions de nous installer dans le
Comminges (oh, mais c'est où, ça, le Comminges ? ^^).
Comment c’est, d’ailleurs, ta
vie ?
Très calme depuis que je suis maman…
Mais auparavant, j’ai beaucoup bougé, et fait à peu près tout ce
qui me passait par la tête. Des études d’histoire et de
linguistique, beaucoup de voyages et de vadrouilles, des boulots
aussi variés que journaliste, hôtesse-pot-de-fleurs dans des
salons, conceptrice de parcours culturel ou guide de voyage, et
surtout un engagement militant qui m’a conduite jusque sur
l’Amazone, ou encore, ma plus belle aventure, sur l’océan
antarctique à la poursuite des baleiniers japonais.
J’ai fini par fonder une famille, hop, me
poser, et c’est seulement là que j’ai pu vraiment commencer à
écrire. Enfin, sérieusement.
Ça se passe comment l’écriture,
alors, dans ta vie de tous les jours ?
Eh bien, hum, je ne suis pas très
prolifique. J’ai la chance que mon mari fasse bouillir la marmite,
mais cela ne me laisse pas pour autant mes journées pour écrire. Je
travaille un petit peu sur l’écriture de projets de films documentaires, je fais
des traductions anglais-français de temps en temps, des corrections
aussi, mais je passe surtout beaucoup de temps avec mes enfants, qui
ont huit et dix ans. On pratique l’instruction en famille (terme
officiel de l’école à la maison), par choix, depuis toujours,
pour avoir plus de liberté et mieux respecter le rythme des enfants
et leurs particularités. C’est chouette mais cela demande une
présence forcément plus importante.
Ces dernières années, j’ai aussi
participé à la création et à l’administration d’un site
d’auteurs indépendants, scryf.org. C’était une expérience humaine et
littéraire très riche, mais cela me prenait beaucoup de temps. On
vient de mettre le site en sommeil par manque de moyens financiers et
de temps, justement, ce qui m’a permis de repartir dans un nouveau
projet d’écriture, mais aussi de rééditer mon premier roman, A
l’autre bout du rêve, et de travailler à l’édition d’un
recueil de nouvelles à paraître.
Alors justement, pourquoi édites-tu
toi même tes livres ?
Vaste sujet ! Franchement, une
fois écrit « A l’autre bout du rêve », je ne savais
pas trop quoi en faire. Il ne rentre pas dans la ligne éditoriale de
la plupart des éditeurs français, et quand on s’éloigne de la
littérature classique, là encore il est difficile de se positionner
dans un genre précis. Un roman préhistorique un peu fantastique
avec une touche d’anticipation, comment dire… Ce n’est pas de
la science-fiction, ce n’est pas du fantastique à proprement
parler, ce n’est pas juste de l’historique… Il est déjà
tellement difficile d’être seulement lu, lu sérieusement je veux
dire, par les maisons d’édition quand on n’a personne à qui
remettre son manuscrit, alors là, j’étais plus que sceptique. Il
y a dix ans encore, je me serais sans doute usée à envoyer et
renvoyer mon bouquin, jusqu’à ce qu’éventuellement quelqu’un
mette sérieusement le nez dedans, mais les temps changent à ce
qu’il paraît… Avec Internet, les liseuses électroniques et
l’impression à la demande (qui permet d’avoir le livre en papier
sans investir, puisque le livre est imprimé l’exemplaire à chaque
commande), il y a des ouvertures dont il faut savoir tirer bénéfice.
C’est long, difficile, ça demande du temps qu’on n’a pas
forcément, mais c’est là.
Être auteur indépendant, ce n’est
pas une tare, c’est une autre façon de voir le rapport à l’écrit
et au lecteur. J’utilise par exemple une licence Creative Commons :
mon roman est librement reproductible, les fichiers numériques n’ont
pas de DRM (digital rights management, système de protection
interdisant la copie), on peut donc les copier et les donner à
volonté, et les lecteurs peuvent choisir de les payer ou de les
télécharger gratuitement. J’aime le principe « tu paies si
tu veux et ce que tu veux ». Je l’aime et j’y tiens
beaucoup.
J’aime aussi et surtout ma liberté.
J’ai la chance d’avoir des lecteurs très enthousiastes, qui me portent dans ma démarche. Je peux m’appuyer là-dessus
pour légitimer mon statut revendiqué d’auteur indépendant.
Bon, ce n’est pas le rêve non plus, hein.
Jouer les auteurs, correcteurs, façonneurs, graphistes, éditeurs,
c’est plutôt épuisant. On apprend sur le tas, et rien n’est
évident. Heureusement, il y a une véritable entraide entre
indépendants, et pas seulement entre auteurs. Un dessinateur t’offre
une illustration, des auteurs t’aident à corriger, un petit
éditeur te file un coup de main pour le formatage du texte et la
mise en maquette, des amis font une ultime vérification avant
impression… Tu fais à peu près tout tout seul mais l’œil des
autres vient compléter le tien. Dans l’idéal, j’aimerais
rassembler des auteurs, et autres si affinités, en une sorte de
coopérative éditoriale. C’est en projet – lointain – avec des
gens que j’ai rencontrés sur le site d’auteurs indépendants.
L’écriture, question bateau, ça
représente quoi pour toi ?
J’écris peu, je ne vais pas raconter
que ça me tord les boyaux de ne pas écrire. Mais si je peux vivre
sans écrire, je peux difficilement vivre sans l’idée
d’écrire. Et j’ai toujours un truc dans la tête. Ce que j’aime
avant tout, c’est raconter (j’écris peu, mais qu’est-ce que je
suis bavarde ! Quand je me mets à raconter une histoire,
difficile de m’arrêter). Ceci dit, j’ai toujours écrit des
histoires, dès que j’ai su tenir un crayon. Mais si certains
peuvent rédiger dix pages, hop, sur un bout de table au café du
coin, j’ai besoin de m’astreindre à une certaine régularité,
sur une longue période. C’est ce qui est le plus dur, une question
d’organisation quoi.
Une fois lancée, j’avance à pas de
fourmi mais sans jamais revenir en arrière. Je pars en sachant où
je veux arriver (pour ce roman en tout cas), mais sans aucune idée
des gens que je vais rencontrer en chemin ni des péripéties qui
m’attendent au tournant. Cela tient sans doute en partie à ma
façon d’écrire. La plupart du
temps, je me place dans le récit du point de vue d’un ou
de plusieurs personnages
consécutivement. J’opère
une espèce de transmutation. Le personnage, je
l’habite, je deviens lui, je rentre
dans sa peau, j’inspire
avec ses poumons, puis une
fois en place je me mets à
l’affût. Que voit-il ? Que ressent-il ? Qu’est-il
poussé à faire ou à dire ? Comment s’insère-t-il dans
l’action, comment
appréhende-t-il le monde ?
Je découvre avec lui, et c’est passionnant. Cela donne aussi un
côté immersif au récit, cela
permet au lecteur d’être dedans et pas à côté. C’est d’autant
plus important quand l’histoire se passe ailleurs, dans le temps ou
dans l’espace, notamment en science-fiction.
En parlant de science-fiction, c’est
vraiment ce que tu lis
majoritairement ?!
Au
moins à 80 %, oui ! Je sais que beaucoup de gens pensent
que c’est de la sous-littérature pour adolescents attardés, mais
ils se trompent. Bien sûr, il y a de sombres daubes en SF, mais pas
plus que dans n’importe quel autre genre. La
science-fiction est un champ d’expérimentation extraordinaire, qui
permet, par extrapolation, d’aller plus loin dans la réflexion
que la littérature classique. Rapport de l’homme à la
technologie, société, environnement, politique, médias… La SF
est comme un labo virtuel dans lequel on met
en situation des constantes et des variables dont on étudie
l’évolution. J’ai
vraiment pris conscience de
ce que lire de la SF m’avait apporté intellectuellement quand au
lycée, en philo – j’étais en section littéraire, huit heures
par semaine, on avait de quoi faire – les cours se transformaient
en discussions
acharnées
avec la prof. Je n’avais jamais lu de bouquins de philo, mais
j’avais en réservoir toute la SF qui me nourrissait depuis
l’enfance.
J’ai
plongé dedans à quelque
chose comme huit ans, avec les romans de Philipe Ebly, Les
conquérants de l’impossible,
des jeunes qui voyagent dans le temps, ça
me changeait de L’étalon noir…
Très vite, j’ai fait mon marché dans la bibliothèque de mon
père, qui avait notamment une gigantesque collection de nouvelles de
science-fiction. Quand on a baigné là-dedans, la littérature
classique semble souvent bien fade.
J’aime en
particulier un auteur, Ursula Le Guin, dont les explorations
spatio-temporelles ont un fond souvent politique, sociologique,
ethnographique – avec une très belle écriture. C’est un peu mon
héroïne :)
Mais le roman que tu viens de
rééditer, pourtant, ce n’est pas de la science-fiction…
C’est
vrai. Mais c’est ailleurs, ailleurs dans le temps, ailleurs dans
l’espace – et puis, donc, il y a un peu de fantastique et un
chouïa d’anticipation. J’ai placé le récit dans une culture
en mutation, à la lisière entre les pratiques itinérantes des
chasseurs-cueilleurs (le mésolithique) et la sédentarisation des
agriculteurs (le néolithique). C’est
une société
a priori égalitaire,
une sorte d’utopie préhistorique,
qui
m’a permis de m’interroger sur l’emprise
de l’homme, sa place dans
le monde, et sur ce qu’induit
socialement et écologiquement
le passage à l’agriculture.
J’ai passé
plusieurs mois à rassembler toute la documentation que j’ai pu
trouver. Puis j’ai dû extrapoler à partir de ce que j’avais –
nourriture, organisation sociale, détails de la vie intime,
cosmogonie, etc. – afin de me retrouver en immersion dans ce monde
que je recréais. Afin de pouvoir y avancer moi-même sans heurt,
naturellement. Alors, seulement, j’ai pu commencer à écrire.
Et pourquoi être passée en phase
d’impression ? C’est un investissement…
Je me suis rendu
compte que passer par Internet était difficile pour beaucoup de
gens. Et puis j’avais besoin de m’ancrer localement, j’avais
envie que ce livre soit l’occasion d’échanges, et d’abord ici,
dans le Comminges. Alors quand un libraire (la librairie Victor Hugo,
à Saint-Gaudens) m’a proposé de participer à une journée de
dédicaces, j’ai pris cela comme l’occasion de me lancer. Le
bouche-à-oreille a déjà bien fonctionné. J’ai eu de nombreuses
commandes depuis l’annonce de cette nouvelle édition (sur laquelle
j’ai beaucoup travaillé… Le résultat est très chouette :),
j’espère que ça va continuer ! L’écueil, pour un
indépendant, c’est la diffusion, puisqu’on est hors du circuit
traditionnel. Mes lecteurs sont acteurs à part entière de la
diffusion du roman, j’ai besoin de leur enthousiasme et de leurs
réseaux pour me faire connaître (à bon entendeur !). Mais
c’est aussi cela qui est sympa, le livre leur appartient d’une
certaine façon autant qu’à moi…